mary low
- Le contraire du jeu
- 29 avr. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mars 2023

PRÉLUDE
Écoute : dans l'être endormi
commence le premier bruissement d'ailes.
À la lueur d'une flûte
épée dissoute en trois notes
mes années vertes se sont réveillées,
endormies depuis toujours parmi les pierres
sans le savoir ;
des larmes de ma sève douloureuse,
plus brûlantes que le retard du pardon ou un semblant d'espoir,
firent éclater ces murs étroits
avec des promesses de giroflée.
Mes angoisses frémirent comme rideau de fumée,
et dans le sillon frais de ma poitrine
tous les oiseaux du monde
réclamaient le soleil.
Avec quelle urgente échappée
je me penchais aux bords d'un regard !
Moi sentinelle,
en ronde sur la tour charnelle.
Mais les doutes de fer –
espions ingrats cachés derrière chaque angle du réveil –
polissaient leur armure en secret,
assombrissant la claire humidité des étoiles
et tissant des murmures sur le cœur.
Ils dressaient contre l'horizon leur profil d'égoïne
comme des fantômes laminés,
leur cordillère d'angoisse,
pour écraser l'obscurité.
Je fuirai quand la lune étroite
s'endormira dans sa lanterne,
quand le chant violet des fleuves
me traînera dans un escalier d'ivoire.
Mon aspiration,
jeune, incertaine, les yeux toujours fermés,
avec des gestes gauches d'enfant grandissant,
frôle déjà les abords du ciel,
irrépressible comme ma tendresse ;
la vie foisonnante
déjà va soufflant doucement ses airs bleus de sortilège
pour enfler mes voiles hissées
de fleurs et de flèches.
Écoute : dans l'être endormi
commence le premier bruissement d'ailes.
Mary Low. Traduction J-R. Prieto.
■
PRELUDIO
Escucha : en el ser dormido
comienza el primer rumor de alas.
Con el brillo de une flauta
espada derretida en tres notas
se despertaron mis años verdes,
adormecidos desde siempre entre las piedras
sin saberlo ;
lágrimas de mi savia dolorosa,
más quemantes que el perdón tardío o la fingida esperanza,
estallaron aquellas angostas paredes
con promesas de alelí.
Temblaron mis ansias como cortina de humo,
y en el surco fresco de mi pecho
todos los pájaros del mundo
pedían el sol.
¡Con qué urgencia de fuga
me asomaba a los bordes de una mirada !
Centinela yo,
rondando la torre carnal.
Pero las dudas férreas –
espías ingratos escondidos tras cada ángulo del despertar –
pulían su armadura en secreto,
nublando la clara humedad de las estrallas
y tejiendo susurros sobre el corazón.
Como fantasmas laminados
levantaban contra el horizonte su perfil de serrucho,
su cordillera de angustia,
para aplastarme la oscuridad.
Huiré cuando la luna estrecha
se haya dormido en su linterna,
cuando el canto morado de los ríos
me arrastre en escalera de marfil.
Ya mi aspiración,
joven, incierta, los ojos aun cerrados,
con gestos torpes de un niño al crecer,
está rozando los contornos del cielo,
incontenible como mi ternura ;
ya la vida múltiple
va soplando suavemente sus azules aires de embrujo
para hinchar de flores y flechas
mis velas izadas.
Escucha : en el ser dormido
comienza el primer rumor de alas.
Mary Low. Alquimia del recuerdo.
___________
UN VERRE DE SOMMEIL
Apportez-moi un verre de sommeil
et effacez de tous les miroirs
ces images d'insomnies gravées par mon tourment.
Je suis lassée de sables mouvants
et d'étoiles hérissées de méchanceté ;
je suis comme les vipères qui ne dorment pas,
lovée dans ma solitude,
à essayer en vain de muer
sans même pouvoir me briser en anneaux de chagrin.
Je voudrais être cloche
pour rendre mes souffrances
sonores et pleines de pesante majesté
avec des résonances étendues dans le cœur étranger ;
ou écume, pour éclater en dentelle soudaine
sur la rive accueillante ;
ou cendre flottant avec indifférence,
ou n'importe quoi d'autre.
Mais ma voix est restée
au-delà de ce ciel bien trop vertical,
et je ne sais crier, ni m'évanouir, ni ressurgir,
ni tout ignorer.
Seule je suis,
seule, muette et infiniment meurtrie,
les plumes collées au sol,
sans issue ;
enkystée dans mon silence vénéneux,
tissant sans fin le filet des souvenirs
comme une araignée
pour dévorer mon propre moi.
Mary Low. Traduction J-R. Prieto.
■
UNA COPA DE SUEÑO
Tráigame una copa de sueño
y borra de todos los espejos
estas imágenes insomnes grabadas por mi tormenta.
Estoy harta de arenas movedizas
y estrellas puntiagudas de malicia ;
soy como las víboras que no duermen,
enroscada en mi soledad,
tratando vanamente de mudar la piel
sin siquiera poder romperme en anillos de pena.
Quisiera ser campana
para que mis dolores fueran
sonoros y llenos de pesada majestad
con prolongadas reverberaciones en el corazón ajeno ;
o espuma para estallar en sorpresivo encaje
sobre la orilla receptora ;
o ceniza flotando indiferente,
o cualquiera cosa.
Pero mi voz se ha quedado
más allá de este cielo demasiado vertical,
y no sé gritar, ni deshacerme, ni resurgir,
ni ignorarlo todo.
Sola estoy,
sola y muda e infinitamente magullada,
con las plumas pegadas al suelo,
sin salida ;
enquistada en mi venenoso silencio,
tejiendo siempre la red de los recuerdos
como una araña
para devorar mi propio yo.
Mary Low. Alquimia del recuerdo.
Mary Low naît le 14 mai 1912 à Londres. Après avoir vécu en Australie, en Angleterre et en Suisse, elle voyage et s'installe à sa majorité à Paris où elle rencontre le poète cubain Juan Breá du groupe « H ». Ils rencontrent les surréalistes et se lient avec Benjamin Péret. Lorsque la guerre civile espagnole éclate, ils rejoignent les révolutionnaires en 1936 et s'engagent dans le P.O.U.M, mais doivent quitter le pays en 1937 poursuivis par les tueurs de la police de Staline. Rentrés en Angleterre ils rédigent ensemble le premier témoignage de la révolution espagnole (« Carnets de la guerre d’Espagne »), salué par Georges Orwell qui écrira ensuite son « Hommage à la Catalogne ». Ils séjournent à Bucarest puis à Prague mais doivent fuir les nazis qui envahissent la Tchécoslovaquie. Ils partent alors à Cuba où Juan Breá meurt brutalement du tétanos en 1941. En 1946 Mary Low publie « Alquimia del Recuerdo », un hommage à l'amour de sa vie. Elle enseigne, participe à la révolution cubaine mais quitte le pays en 1964 lorsqu'elle se retrouve dans l'opposition au régime. Elle finit ses jours aux États-Unis le 9 janvier 2007.
Le recueil de poèmes « La Saison des flûtes » (Éditions surréalistes, 1939), dont elle est auteur avec Juan Breá, a été réédité en 1987 par les éditions Arabie-sur-Seine. Un choix de ses poèmes intitulé « Sans retour » et traduit par Gilles Petitclerc a été publié en 2000 par les éditions Syllepse, suivi d'une biographie de Gérard Roche.

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