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françois villon



LA "BALLADE DES PENDUS" DE FRANÇOIS VILLON



« Disparaître c'est réussir. »

Paul Eluard.



Lorsque François Villon compose la Ballade des pendus, il lance un appel désabusé au pardon de ses congénères. Il reconnaît les règles de la communauté humaine et il sait que rien ne se fait sans la bénédiction ou l'autorisation de nos semblables. Il se sait soumis à la justice des hommes mais nous rappelle d'emblée que nous n'échapperons pas à une justice supérieure, aussi fatale que celle de nos « frères ». Il n'implore pas le pardon divin, il s'adresse à ses contemporains, même s'il leur confère le rôle d'intercesseurs auprès de la puissance divine et par-delà l'époque, à ses lecteurs à venir. Il ne cache pas sa désillusion, son appel prend l'allure d'un défi, car ce sort qui est le sien devient un destin assumé, choisi.

Qu'est-ce qui empêchait François de Montcorbier, ou des Loges, bachelier, licencié et maître ès arts à 21 ans, d'accéder à une situation, même modeste, de clerc ou de religieux, à obtenir les faveurs et la protection d'une personnalité de haut rang ? Il en eut d'ailleurs maintes fois l'occasion…

Quel est le propos de la Ballade ? La mort ? La damnation ? Une condamnation à la peine capitale, qui l'assimilerait aux autres condamnés ? Peut-être, mais le propos me semble bien plus l'évocation d'un lot : celui des exclus, bien plus que des pauvres. En prenant parole en leur nom, et au nom de leur refus d'abstinence (« Quant de la chair, que trop avons nourrie »), il leur donne cette parole d'étranglé qui résonne en sourdine derrière la condition humaine des marginaux. En effet « tous hommes n'ont pas le sens rassis », n'ont pas d'assiette morale, de jugement et de discernement. Pourtant les règles de la vie sociale sont à ce prix, et si les puissants de ce monde ont toute notre indulgence, si vils soient-ils, la condamnation est en revanche sans appel pour les malheureux démunis qui ont fait un faux pas ou commis quelque infraction. Les exclus sont semblables aux morts. Ils sont morts à la vie civile. Le temps n'est pas perçu de la même façon au cachot ou bien dans la situation de ceux, privés d'abri et de protection, que l'on désignait du terme de « Demeurant partout ». Leur vie ne se déploie pas dans le temps social, ils ont un pied sur la décomposition de leur statut social et l'autre dans une éternité de soif inassouvie et de privation. La folie a brouillé les repères communs (« Puis çà, puis là, comme le vent varie, /À son plaisir sans cesser nous charie »), leur regard est à l'infini creusé par ce à quoi ils assistent – ils ont « les yeux cavés » par le spectacle de la vie des autres. Ils n'ont plus d'yeux, leur regard n'est plus un regard de sujet. Il évoque finalement cet Enfer qui les menace, lui et ses compagnons d'infortune, enfer terrestre d'anéantissement social et d'aliénation, bien pire que celui promis par la religion, et qui ne mérite aucune dérision.

Mais cette parole est un coup porté, elle ne fera pas de concession, et par-delà sa condamnation, son bannissement de Paris le 5 janvier 1463 et sa disparition immédiate et consécutive, elle est la parole du poète à travers les âges. Sienne, unique, elle prend son parti, fait de lui un adepte du faux pas et de l'infraction, sans autre malédiction que celle qu'il porte sur une existence trop étroite ; car la poésie est ce crime, cette disparition.


Jean-Raphaël Prieto.



L'Épitaphe Villon, ou Ballade des Pendus


Freres humains, qui après nous vivez,

N'ayez les cueurs contre nous endurcis,

Car, se pitié de nous povres avez,

Dieu en aura plus tost de vous mercis.

Vous nous voiez cy attachez, cinq, six :

Quant de la chair, que trop avons nourrie,

El est pieçà devorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.

De nostre mal personne ne se rie,

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.


Se freres vous clamons, pas n'en devez

Avoir desdaing, quoy que fusmes occis

Par justice… touteffois vous sçavez

Que tous hommes n'ont pas le sens rassis.

Excusez nous, puis que sommes transis,

Envers le filz de la Vierge Marie :

Que sa grace ne soit pour nous tarie,

Nous preservant de l'infernale fouldre.

Nous sommes mors, ame ne nous harie,

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.


La pluye nous a debuez et lavez

Et le soleil deseichez et noircis.

Pies, corbeaux nous ont les yeulx cavez

Et arraché la barbe et les sourcilz.

Jamais nul temps nous ne sommes assis :

Puis çà, puis là, comme le vent varie,

A son plaisir sans cesser nous charie,

Plus becquetez d'oyseaulx que dez à coudre.

Ne soiez donc de nostre confrairie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre.

Prince Jesus, qui sur tous a maistrie,

Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :

A luy n'ayons que faire ne que souldre.

Humains, icy n'a point de mocquerie,

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !


Paru dans Soapbox n°78, Les Minutes de l'umbo, 7/04/2017.

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