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le livre des poisons

  • Photo du rédacteur: Le contraire du jeu
    Le contraire du jeu
  • 17 juil. 2020
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 avr. 2023

Le Codex de Dioscoride (Ier siècle apr. J.-C.) est l'un des livres de botanique et de médecine les plus lus, commentés et traduits au XVIe siècle. Il en existe de nombreuses versions, en français comme dans beaucoup de langues européennes. La traduction espagnole fut publiée en 1655 par le botaniste Andrés de Laguna, castillan, aventurier et humaniste, mais surtout écrivain au style somptueux. Antonio Gamoneda a sélectionné des extraits du VIe livre de ce Codex, «Sur les poisons mortifères et les bêtes sauvages qui crachent le venin», ainsi que les notes et commentaires de Laguna. Conscient que le temps a transformé le langage scientifique de l'époque en une matière et une langue poétiques, il procède à la corruption de ces textes en les passant au tamis d'une sensibilité actuelle. Mais il va plus loin : il ajoute ses propres commentaires qui s'enflent en des récits de plus en plus imaginaires, où apparaît chaque fois le personnage mythique de Cratévas, médecin de Mithridate, qui se livre à des expériences sur les poisons, sur la cruauté, la douleur et le pouvoir. Il s'agit donc d'une polyphonie où l'on entend les voix de Dioscoride, de Laguna commentant celui-ci, et enfin de Gamoneda lui-même, dans une traduction en français moderne influencée par la langue des traducteurs lyonnais de Dioscoride au XVIe siècle.

*

" Des cantharides


Ceux à qui on donne des cantharides tombent en graves accidents car ils sentent un grand rongement en presque tous leurs membres, de la bouche jusqu'à la vessie, avec au palais comme un goût de poix ou de résine de cèdre. Ils ont en outre la région du foie tout enflammée, ils urinent avec grande difficulté et souffrance, et pissent quasi toujours le sang. Des superfluités leur sortent par le ventre, ni plus ni moins qu'en la dysenterie. Ils tombent souvent en pâmoison, souffrent dégoûts pour la nourriture et tournements de tête, de sorte qu'ils tombent du châlit et déraisonnent.

Comme je l'ai dit, avant que de tels accidents surviennent, il faut faire vomir le malade et, après qu'il aura rendu grande quantité de poison, lui bailler un clystère de suc de salsovie, de graines de lin, de fenugrec ou de racines de guimauve. De plus, il lui faut donner à boire du nitre avec de l'eau miellée, pour mondifier, faire descendre et balayer les excréments qui restent encore attachés aux boyaux, lesquels, s'ils ne sont emportés ni refoulés par ce moyen, il conviendra d'évacuer avec clystères faits aussi de nitre et d'eau miellée. Ceci fait, il lui faut aussi donner à boire du vin ordinaire, mêlé de graines de concombre, de lait, d'eau miellée ou de graisse d'oie. Quant aux parties enflammées, il les faut couvrir de farine d'orge cuite. Le tout après les évacuations car, appliquées au commencement, de semblables emplâtres nuisent, à cause de la chaleur qu'ils émeuvent, laquelle retient tellement le venin qu'il a moyen et loisir de s'emparer des parties nobles et principales du corps.

Au reste, on doit alors oindre le corps tout entier avec quelque huile chaude, puis le mettre au bain et le laver afin qu'il expulse par les pores de la peau tout ce qui pourrait rester de nuisible et d'importun. En somme, il faut tenter toutes sortes d'évacuations, pour éviter que le mal ne prenne racine.

Quant au régime, il lui faut donner de la chair de poulet, d'agnelet, de chevreau et de cochon de lait, cuits avec de la graine de lin. Il boira du vin doux, en quantité. Il est bon en ce cas de prendre un breuvage d'écorce d'encens et de terre samienne, appelée aster, à raison de quatre drachmes chacune. Item le pouliot broyé en eau, l'huile rosat ou l'huile d'irine, tempérés par une décoction de rue.


(...)


Des processionnaires ou chenilles du pin


A ceux qui ont avalé des chenilles du pin, survient incontinent une furieuse douleur au palais et une grande inflammation en la langue, avec si grand mal de boyaux qu'il semble au malade qu'on lui ronge les intérieurs, en plus d'un dégoût pour la nourriture et d'une chaleur insolite de tout le corps. On doit y pourvoir avec les mêmes remèdes dont on use contre les cantharides; toutefois, au lieu d'huile simple, il faudra user d'huile de pommes de coing."


Antonio Gamoneda, Livre des poisons. Actes Sud, 2009. Traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia.


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