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le livre de monelle

  • Photo du rédacteur: Le contraire du jeu
    Le contraire du jeu
  • 21 mai 2020
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 mars 2023

[...]

Et Monelle dit encore : Je te parlerai de tes actions.


Que toute coupe d'argile transmise s'effrite entre tes mains.

Brise toute coupe où tu auras bu.

Souffle sur la lampe de vie que le coureur te tend. Car toute lampe ancienne est fumeuse.

Ne te lègue rien à toi-même, ni plaisir, ni douleur.

Ne sois l'esclave d'aucun vêtement, ni d'âme, ni de corps.

Ne frappe jamais avec la même face de la main.

Ne te mire pas dans la mort ; laisse emporter ton image dans l'eau qui court.

Fuis les ruines et ne pleure pas parmi.

Quand tu quittes tes vêtements le soir, déshabille-toi de ton âme de la journée ; mets-toi à nu à tous les moments.

Toute satisfaction te semblera mortelle. Fouette-la en avant.

Ne digère pas les jours passés : nourris-toi des choses futures.

Ne confesse point les choses passées, car elles sont mortes ; confesse devant toi les choses futures.

Ne descends pas cueillir les fleurs le long du chemin. Contente-toi de toute apparence. Mais quitte l'apparence, et ne te retourne pas.

Ne te retourne jamais : derrière toi accourt le halètement des flammes de Sodome, et tu serais changé en statue de larmes pétrifiées.

Ne regarde pas derrière toi. Ne regarde pas trop devant toi. Si tu regardes en toi, que tout soit blanc.

Ne t'étonne de rien par la comparaison du souvenir ; étonne-toi de tout par la nouveauté de l'ignorance.

Étonne-toi de toute chose ; car toute chose est différente dans la vie et semblable dans la mort.

Bâtis dans les différences ; détruis dans les similitudes.


Ne te dirige pas vers des permanences ; elles ne sont ni sur terre ni au ciel.

La raison étant permanente, tu la détruiras, et tu laisseras changer ta sensibilité.

Ne crains pas de te contredire : il n'y a point de contradiction dans le moment.

N'aime pas ta douleur ; car elle ne durera point.

Considère tes ongles qui poussent, et les petites écailles de ta peau qui tombent.


Sois oublieux de toutes choses.

Avec un poinçon acéré tu t'occuperas à tuer patiemment tes souvenirs comme l'ancien empereur tuait les mouches.

Ne fais pas durer ton bonheur du souvenir jusqu'à l'avenir.

Ne te souviens pas et ne prévois pas.

Ne dis pas : je travaille pour acquérir : je travaille pour oublier. Sois oublieux de l'acquisition et du travail.

Lève-toi contre tout travail ; contre toute activité qui excède le moment, lève-toi.

Que ta marche n'aille pas d'un bout à un autre ; car il n'y a rien de tel ; mais que chacun de tes pas soit une projection redressée.

Tu effaceras avec ton pied gauche la trace de ton pied droit.

La main droite doit ignorer ce que vient de faire la main droite.

Ne te connais pas toi-même.

Ne te préoccupe point de ta liberté : oublie-toi toi-même.


Marcel Schwob, Le Livre de Monelle, 1895.


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