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le dragon des batignolles

  • Photo du rédacteur: Le contraire du jeu
    Le contraire du jeu
  • 9 oct. 2022
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 nov. 2022

Retour sur les terres de l'enfance, à Paris, dans le quartier des Batignolles. Chaque jour, le chemin de l'écolier que j'étais passait devant la statue de l'archange Michel terrassant le Dragon, de la sinistre église du même nom, une église art déco d'avant-guerre de la plus grande laideur recouverte de briques rouges, encastrée entre quelques vieux immeubles du passage, non loin de « La Fourche ».

Chaque jour pendant des années le regard de l'élève condamné au bon vouloir croisa celui du démon terrassé. Chaque matin et chaque soir que l'Éducation nationale quotidienne obligatoire faisait, établissait le rapport d'un sort commun, tandis que je gagnais l'école élémentaire de l'avenue de Saint-Ouen en passant par la rue Saint-Jean (que de saints!). L'enfant qui ne sait pas que la vie existe, comme l'animal né en captivité, ne ressent pas la colère et le désir du refus, mais bien plutôt la chape de plomb de l'ennui qui forge les destinées de chaque citoyen dans un lent parcours programmé. Le démon qui relevait la tête en quêtant un regard révélait l'image d'une conscience. Et l'archange hiératique aux boucles blondes en parure de soldat romain semblait accomplir sans conviction une mission qui le concernait à peine. Il était le doigt de Dieu, ce doigt qui indiquait le chemin à suivre droit comme une pique de fonctionnaire, et qui contrariait les circonvolutions de la queue reptilienne du Serpent.

Une certaine complicité s'établit. L'enfant relevait la tête. Le sacré d'une institution, religieuse, s'alliait à celui d'une autre, républicaine, dans l'intérêt des dompteurs. La profonde empathie que j'éprouvais pour cette Méduse plaçait devant mes yeux un sort pire que le mien puisqu'il était représenté. Le mien comme celui de milliers d'enfants du foyer national, demeurerait invisible.

Bien des années plus tard je rencontrai le poète Pierre Peuchmaurd à l'occasion d'une réunion d'amis qui avait eu lieu dans le quartier. Nous empruntâmes le chemin fatidique et il m'apprit que nous avions été voisins à quelques dix années d'intervalle, qu'il avait suivi sa scolarité dans la même école, et à mon grand étonnement, subi lui aussi l'étrange fascination du démon de la statue lors des incursions qu'il faisait dans ma rue.


Jean-Raphaël Prieto, 9/10/2022.


Photos Ana Orozco.



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