top of page

jacques le maréchal, l'atelier d'une œuvre

  • Photo du rédacteur: Le contraire du jeu
    Le contraire du jeu
  • 22 juil. 2023
  • 3 min de lecture


Je veux parler de ceux dont l'esprit a été dès l'enfance, touched with pensiveness, toujours double, action et intention, rêve et réalité, toujours l'un nuisant à l'autre, l'un usurpant la part de l'autre.

Charles Baudelaire



Se trouver face à une œuvre de Jacques Le Maréchal est un événement de ceux que l'on tenterait en vain de définir ou de théoriser tout en l'éprouvant comme une fatalité. Il s'agit d'un phénomène singulier qui modifie la conscience du regardeur en transformant fondamentalement son rapport à l'œuvre, c'est-à-dire d'une certaine façon son existence au monde. L'œuvre elle-même, sous le regard, se met à vivre de sa vie propre de façon absolument inattendue : elle révélera des aspects par degrés dissimulés, tout en donnant le jour à un état de conscience favorable. Elle ne sera par la suite jamais oubliée, nous poursuivra comme un tracas ou une joie pénétrante.


Paysages, objets, surgissements d'êtres à l'aube de la catastrophe, édifices jaillis de la corruption sous l'empreinte des premières lueurs du monde, cités d'outre-temps, symboles, limbes désirées, « œuf lumineux », « germe du monde futur ».


Par-delà l'opposition factice de la pensée et des sens : l'expérience d'une extase révélée, non pas comme anéantissement mystique, mais bien plutôt comme celle d'un retour à la vie, une vie revêtue, refaite – telle que rêvée par Antonin Artaud –, et qui a pris corps, et qui nous le rend en bienfaits. Cette vie, ou du moins cette brise propice à une vie, peignée de brume, déjà même un peu peuplée, peuplée de spores et de pollens qui tournoient pour établir leurs lois, celles des contradicteurs s'étant gardés purs pour ressurgir un jour dans la gloire du renversement de l'ordre de la vision.


Si la convention est là, de l'objet regardé et du sujet, c'est pour instaurer cette physiologie du regard, cette course à l'abîme qui fera surgir des mondes.... Un tableau de Le Maréchal ne se regarde pas – même de nombreuses fois – il faudrait vivre, il faudrait laisser un ordre de couleurs et de nappes de brouillard tatouées nous pénétrer, il faudrait se jeter dans le piège, éprouver le vertige sans égard pour la considération sociale ou culturelle, sans consulter les tenanciers d'échoppes sur le trottoir, les historiens de la valeur de l'image, sans suivre le guide.


Maintenant les messages se noient, ils ne nous sont pas destinés – « Mais toi, tu restes assis à ta fenêtre et tu rêves du message, tandis que le soir tombe. » (Kafka) –, le marais luminescent cache un pot de braises, la guerre du feu n'est pas de ce monde, trop de vérité en elle.


Les supports sont innombrables et variés, gravures, gravures aquarellées, toiles mais aussi morceaux de bois polis et peints, papiers contrecollés sur plaques de contreplaqué ou d'isorel, éclats de toutes sortes, vieilles tuiles, pierres, etc. – les étagères mêmes sont transformées, épousent des courbes et prennent des couleurs, les murs de l'atelier sont recouverts d'inscriptions, citations et pensées qui formulent des intentions comme des armes cachées.


Lorsque nos yeux seront déshabitués de voir, lorsque l'abîme aura ancré son regard en nous, le double-fond de la mémoire pourra éventrer l'oubli et les lambeaux des voiles prendront part à un nouveau paléolithique. Un ver luisant se présentera sur un horizon de lait primordial.


Le langage de Jacques Le Maréchal est cosmogonique et analogique, il est cosmogonique derrière les paupières de la naissance, et en avant de la vision ; il est analogique dans la dissension de la vie – « ...action et intention, rêve et réalité, toujours l'un nuisant à l'autre, l'un usurpant la part de l'autre»…


Les images se présentent sans foi pour nos yeux, c'est-à-dire que leur témoignage est excédé, et sans loi pour le monde, ou du moins sans autre loi que celle d’une complicité des ombres.


« Celui qui sait n'a plus qu'à dire ce qu'il sait ».


Qu'il en soit remercié.


Jean-Raphaël Prieto,

01/07/2023.

Comments


Contact

© 2020 Jean-Raphaël Prieto.

Merci pour votre envoi !

bottom of page