antonio gamoneda
- Le contraire du jeu
- 7 juil. 2020
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 avr. 2023
Blues du maître
Il y a bien dix neuf années
que je travaille pour un maître.
Il y a dix neuf années qu'il me fournit la nourriture
et je n'ai toujours pas vu son visage.
En dix neuf années je n'ai pas vu le maître
mais tous les jours je me regarde moi-même
et j'apprends peu à peu
à connaître le visage de mon maître.
Il y a bien dix neuf années
qu'il fait froid quand je sors de ma maison
et ensuite j'entre dans la sienne et il allume une lumière
jaune au dessus de ma tête
et toute la journée j'écris seize
et mille et deux et je n'en peux plus
et ensuite je sors prendre l'air et c'est la nuit
et je rentre à la maison et je ne peux pas vivre.
Lorsque je verrai mon maître je lui demanderai
ce que c'est que mille et seize
et pour quelle raison il allume une lumière au dessus de ma tête.
Lorsque je me trouverai un jour face à mon maître
je verrai son visage, je pénétrerai son visage du regard
jusqu'à l'anéantir en lui et en moi-même.
Antonio Gamoneda, Blues castellano. 1961-1966 y 2004. Traduit par J-R Prieto.
*
Blues del amo
Va a hacer diecinueve años
que trabajo para un amo.
Hace diecinueve años que me da la comida
y todavía no he visto su rostro.
No he visto al amo en diecinueve años
pero todos los días yo me miro a mí mismo
y ya voy sabiendo poco a poco
cómo es el rostro de mi amo.
Va a hacer diecinueve años
que salgo de mi casa y hace frío
y luego entro en la suya y me pone una luz
amarilla encima de la cabeza
y todo el día escribo dieciséis
y mil y dos y ya no puedo más
y luego salgo al aire y es de noche
y vuelvo a casa y no puedo vivir.
Cuando vea a mi amo le preguntaré
lo que son mil y dieciséis
y por qué me pone una luz encima de la cabeza.
Cuando esté un día delante de mi amo,
veré su rostro, miraré en su rostro
hasta borrarlo de él y de mí mismo.
Antonio Gamoneda, Blues castellano. 1961-1966 y 2004.

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