andré breton et le symbolisme
- Le contraire du jeu
- 28 mars 2021
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Dernière mise à jour : 16 avr. 2023
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J'estime qu'à cette époque, la conscience littéraire était loin d'être tombée aussi bas qu'aujourd'hui. Il y avait du moins, des terres réservées, où l'on peut dire que le culte de l'expression était rendu sans équivoque. Une revue d'alors comme Vers et prose, que dirigeait Paul Fort, pouvait, sans qu'il y eût rien là d'abusif, porter en exergue de ses numéros : « Défense et illustration de la haute littérature et du lyrisme en prose et en poésie. » Le grand public n'entrait pas, bien sûr, mais l'important était que la promesse était tenue.
La critique de notre temps est très injuste envers le symbolisme. Vous me dites que le surréalisme ne s'est pas donné pour tâche de le mettre en valeur : historiquement, il était inévitable qu'il s'opposât à lui, mais la critique n'avait pas à lui emboîter le pas. C'était à elle de retrouver, de remettre en place la courroie de transmission.
Qu'est-ce qu'il y avait d'exemplaire chez ces poètes, ces écrivains qui atteignaient alors la maturité de l'âge et dont la plupart s'étaient rencontrés quelque vingt-cinq ans plus tôt aux Mardis de Mallarmé, je pense, dans le petit salon de la rue de Rome ?
A distance, il me semble que c'était la tenue. Encore une fois, ils ne mettaient rien au-dessus de la qualité, de la noblesse d'expression. Certes, la beauté qu'ils honoraient n'est plus la nôtre et, déjà à l'époque où je me place, elle commençait à faire l'impression d'une femme voilée en train de se perdre dans le lointain. Toutefois, grâce à eux, un ensemble de valeurs essentielles étaient préservées, mises à l'abri de toute souillure. Ceci devrait suffire à leur valoir encore aujourd'hui un coup de chapeau (mais nous n'en portons plus...)
Il faut reconnaître que cette époque était beaucoup moins âpre que la période qui devait suivre. Mais une nouvelle génération pressait déjà les symbolistes, puisque les cubistes et les futuristes s'étaient manifestés bruyamment au cours des des quatre années précédentes et qu'un ouvrage capital comme Alcools, de Guillaume Apollinaire, allait précisément voir le jour en cette année 1913. En étiez-vous déjà « alerté » ?
Très imparfaitement : dans l'ombre qui s'épaississait autour d'eux, mais qu'ils avaient aimée et qui leur allait fort bien, je gardais ma vénération, le mot n'est pas trop fort, à ces grands témoins d'une époque révolue qui s'étaient maintenus purs de toute concession et regardaient sans amertume la place dérisoire que la critique officielle leur faisait. On peut vraiment dire qu'ils étaient au-dessus de cela. En ce qui me concerne, je m'enchantais sans fin de tels de leurs poèmes ou de telles de leurs pages et s'il leur arrivait de se taire plusieurs années, comment dire, leur silence m'était du même prix que leur voix. Il est bon de dire cela aujourd'hui où la jeunesse ne fait pas grâce aux aînés de la perpétuelle sommation d'aller plus loin, « d'intervenir » à tout propos sous prétexte que certains d'entre eux sont beaucoup intervenus et quand ce serait de toute évidence bien plutôt à elle – la jeunesse – d'intervenir.
Peut-être parce que nous ne connaissons plus beaucoup la qualité du silence qui vous était si précieuse...
Peut-être. Il me semblait, à moi, que ceux dont m'avaient ému, dont m'avaient imprégné pour toujours certains accents m'avaient fait un présent inestimable. Ce qui les dignifiait une fois pour toutes à mes yeux, c'est que même ils étaient seuls à m'avoir fait un présent – sans me connaître et dans un monde qui m'apparaissait déjà étrangement démuni. Si j'aspirais à quelque chose de leur part, ce pouvait être tout au plus à un signe de vie, s'adressant à moi personnellement sous forme de réponse à une lettre ou d'acceptation d'un rendez-vous sollicité. De la part d'un Vielé-Griffin, d'un René Ghil, d'un Saint-Pol Roux, d'un Valéry, rien, à certains jours, ne m'importa tant que d'obtenir l'une ou l'autre : c'était comme s'ils s'étaient départis pour moi d'une parcelle de leur secret : celui-ci n'en devenait pas moindre, au contraire. Il y a beau temps qu'on n'écrit plus de lettres du ton des leurs, serait-on tenté de le faire qu'on se retiendrait. Une espèce de pudeur s'y est mise : aujourd'hui, glisser là un brin d'éternel, tendre si peu que ce soit à la formulation lapidaire paraîtrait aussi déplacé qu'au téléphone...
André Breton, Entretiens, 1952.

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