un enfant
- Le contraire du jeu
- 12 juil. 2020
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[…] ; géniale, hardie, cette construction, le pont du chemin de fer ! Entendais-je dire mon grand-père. Il me souvient avoir posé très souvent des pierres sur les voies dans l'ennui des après-midi, sans aucun doute des pierres trop petites pour les locomotives géantes que mes collègues de l'école primaire et moi, nous aurions tant aimé voir faire le saut dans l'abîme. Des anarchistes de sept ou huit ans s'exerçaient, bien que sans résultat, sur le versant appelé le versant du vignoble, en apportant pendant des heures, dans la grosse chaleur, des pierres et des rondins, en les posant sur les voies et en se tapissant pour guetter. Les trains n'avaient aucune idée de dérailler et avec leur suite de wagons, de faire le saut dans l'abîme. Ils pulvérisaient les pierres et projetaient en l'air les rondins. Nous étions tapis dans les buissons et rentrions nos têtes. Pour achever nos desseins anarchistes, il nous manquait la force physique, non les aptitudes intellectuelles. Bien des jours nous étions portés à la douceur et, au lieu de morceaux de pierre et de rondins, nous posions seulement des pièces de petite monnaie sur les rails et nous nous réjouissions de chaque écrasement de nos pièces réussi par un express. Il fallait commencer par poser les pièces sur les rails selon un système raffiné, conçu avec précision, pour obtenir un pilonnage particulièrement réussi, la pièce du simple amateur sautait au loin et il ne la retrouvait plus dans les éboulis et la broussaille du versant du vignoble.
Thomas Bernhard, Un enfant. Traduit par Albert Kohn.

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