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shulamith firestone

  • Photo du rédacteur: Le contraire du jeu
    Le contraire du jeu
  • 29 avr. 2020
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 mars 2023



[...] Le développement de la famille moderne signifiait la désagrégation d’une grande société intégrée en petites unités centrées sur elles-mêmes. L’enfant, à l’intérieur de la cellule conjugale, devenait maintenant important ; s’il en était le résultat, il était aussi la cause de sa continuité. Il devint souhaitable de garder les enfants à la maison le plus longtemps possible afin de les lier psychologiquement, financièrement et émotionnellement à l’unité familiale jusqu’à ce qu’ils soient prêts à en créer une nouvelle. C’est dans ce dessein que fut créé l’Âge de l’Enfance. (On lui attribua plus tard des prolongements, comme l’adolescence, et aux États-Unis on distingue au XXe siècle les teenagers, les étudiants et les « jeunes adultes ».) L’idée d’enfance impliquait qu’il s’agissait d’une espèce différente de celle des adultes, non seulement en âge, mais de par sa nature même. Une idéologie fut élaborée à l’appui de cette théorie, et des traités fantaisistes furent écrits sur l’innocence des enfants, « petits anges, si proches de Dieu ». On crut alors que les enfants étaient asexués et les jeux sexuels d’enfants une aberration – ce qui était en contradiction évidente avec les coutumes de l’époque précédente, où les enfants étaient, dès leur plus jeune âge, en contact avec les réalités de la vie. Reconnaître la sexualité des enfants aurait en effet hâté leur arrivée à l’âge adulte, qui devait être retardée à tout prix : des vêtements particuliers exagérèrent bientôt les différences physiques distinguant les enfants des adultes ou même d’autres enfants plus âgés ; ils ne partagèrent plus les jeux des grandes personnes ni leurs réunions (les enfants d’aujourd’hui n’assistent généralement pas aux réceptions), mais on leur donna des jeux et des objets conçus pour leur usage propre (jouets) ; l’art de conter, qui était autrefois un divertissement social, fut relégué à la distraction des enfants, conduisant ainsi à la littérature enfantine spécialisée de notre époque; les adultes s’adressèrent aux enfants dans un langage particulier, et veillèrent à ne pas parler de choses sérieuses en leur présence (« pas devant les enfants ») ; la sujétion aux adultes fit des « bonnes manières » une institution à l’intérieur de la maison (« les enfants doivent être vus et non pas entendus »). Mais rien de tout cela ne serait parvenu à faire réellement des enfants une classe sociale asservie si une institution n’avait été créée précisément à cette fin : l’école moderne.

L’idéologie de l’école était l’idéologie de l’enfance. Elle était fondée sur le principe que les enfants avaient besoin de «discipline», qu’ils étaient des créatures particulières qu’il fallait traiter de façon spéciale (psychologie de l’enfant, éducation, etc.), ce qui devait être plus commode si on les mettait avec leurs semblables dans un espace distinct, à l’intérieur de groupes constitués d’enfants d’âges aussi proches que possible. L’école était l’institution qui donnait à l’enfance une structure en isolant les enfants du reste de la société par une sorte de ségrégation, retardant ainsi leur maturité et les empêchant également d’acquérir les connaissances spécialisées qui pourraient les rendre utiles à la société. En conséquence, ils restaient économiquement dépendants de leurs parents de plus en plus longtemps ; les liens familiaux n’étaient donc pas brisés.


Shulamith Firestone, Pour l'abolition de l'enfance, traduit de l'américain par Sylvia Gleadow, Tahin Party, 2016.

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