la valeur du travail
- Le contraire du jeu
- 27 juin 2020
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Dernière mise à jour : 3 avr. 2023
LA VALEUR DU TRAVAIL
Si l'on voulait déterminer la valeur du travail d'après la quantité de temps, de zèle, de bonne et de mauvaise volonté, de contrainte, d'inventivité ou de paresse, de probité ou d'hypocrisie que l'on y consacre, jamais cette évaluation ne pourrait être JUSTE ; car c'est toute la personne qu'il faudrait mettre sur la balance, ce qui est impossible. C'est bien là le lieu de dire : NE JUGEZ POINT ! C'est pourtant bien l'appel à la justice que nous entendons aujourd'hui chez ceux qui sont mécontents de la dépréciation du travail. Si l'on y réfléchit davantage, on trouve toute personne irresponsable de ce qu'elle produit, son travail : on ne peut donc jamais en déduire un MÉRITE, tout travail est aussi bon ou mauvais qu'il doit forcément l'être dans telle ou telle constellation nécessaire de forces et de faiblesses, de connaissances et de besoins. Il ne dépend pas de l'ouvrier de décider s'il travaillera, ni comment il travaillera. Les seuls points de vue, larges ou étroits, qui ont fondé l'estimation du travail sont ceux de l'UTILITÉ. Ce que nous appelons actuellement justice est sans doute à sa place sur ce terrain, en ce qu'elle est une utilité suprêmement raffinée qui ne se contente pas de n'avoir qu'au moment et d'exploiter l'occasion, mais se préoccupe de la durée de toutes les situations, et envisage aussi pour cette raison le bien de l'ouvrier, son contentement physique et moral, – AFIN QUE lui et ses descendants travaillent bien pour nos descendants aussi, et que l'on puisse compter sur eux pour de plus longues périodes que n'est une vie d'homme. L'EXPLOITATION de l'ouvrier, on le comprend maintenant, fut une sottise, un gaspillage aux dépens de l'avenir, une menace pour la société. Voici que déjà on a presque la guerre : et en tous cas, pour maintenir la paix, signer des contrats et obtenir la confiance, les frais seront désormais très grands, parce que la folie des exploitants aura été si grande et si durable.
Friedrich Nietzsche, Humain trop humain II, 1878. Traduit par Robert Rovini.

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