la religion humaine
- Le contraire du jeu
- 23 mai 2020
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Dernière mise à jour : 31 mars 2023
La religion humaine n'est que la dernière métamorphose de la religion chrétienne. Le libéralisme est en effet religion parce qu'il sépare mon être de Moi-même, pour le placer au-dessus de Moi, exalte « l'homme » autant que n'importe quelle autre religion son Dieu ou son idole et fait de ce qui est Mien un au-delà et, en général, de tout ce qui m'appartient, de mes qualités et de ma propriété, quelque chose d'étranger, à savoir une « essence », bref, parce qu'il Me subordonne à l'homme et me donne par là même une « mission ». Mais, formellement aussi, le libéralisme s'avoue une religion, quand il exige pour l'homme, cet être suprême, une foi zélée, « une foi qui prouvera enfin elle aussi sa flamme et son ardeur, un zèle que rien ne pourra vaincre » (Bruno Bauer : « La question juive »). Fidèles d'une religion humaine, ses croyants se montrent tolérants à l'égard de ceux des autres religions, catholiques, juifs, etc. comme Frédéric le Grand se montrait tolérant envers tous ceux qui faisaient leur devoir de sujets, à quelque manière d'obtenir la béatitude qu'ils accordent de préférence. C'est cette religion qui doit maintenant être élevée au rang de culte général et public, distincte des autres comme autant de simples « folies privées », à l'égard desquelles on adopte d'ailleurs une attitude extrêmement libérale en raison de leur insignifiance. On peut la nommer religion d’État, religion de l' « Etat libre », non pas dans le sens admis jusqu'ici de religion préférée ou privilégiée par lui, mais de religion que l' « Etat libre » est non seulement autorisé, mais encore forcé d'exiger de chacun de ses sujets, que celui-ci soit dans le privé juif, chrétien ou ce que l'on voudra. Elle rend à vrai dire à l’État le même service que la piété filiale à la famille : si cette dernière, en effet, doit être reconnue et maintenue dans son intégrité par chacun de ses membres, il faut que le lien du sang lui soit sacré et qu'il l'honore et respecte comme ce qui rend chaque parent sacré à ses yeux. De même, la communauté étatique doit-elle être sacrée pour chaque citoyen et l'idée, qui est pour l’État l'idée suprême, doit l'être aussi pour lui. Quelle est donc l'idée suprême pour l’État ? Sans doute celle qu'il est une société véritablement humaine, où peut être accueilli quiconque est véritablement homme, c'est à dire pas inhumain. Aussi loin qu'aille en effet la tolérance d'un Etat, elle cesse à l'égard de ce qui n'est pas homme, de l'inhumain. Et pourtant ce « non-homme » est un homme, cet « inhumain » lui-même quelque chose d'humain, qui n'est même possible qu'à un homme et pas à une bête, quelque chose précisément d' « humainement possible ». Mais bien que tout « non-homme » soit homme, l’État l'exclut : il l'enferme, faisant de ce collègue d’État un collègue de prison (ou camarade d'hôpital ou d'asile d'aliénés, avec le communisme).
Max Stirner, L'Unique et sa propriété. Traduit par P. Gallissaire et A. Sauge. L'âge d'homme, 1972.

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