l'asservissement des femmes et des enfants
- Le contraire du jeu
- 15 oct. 2020
- 3 min de lecture

[...] L'asservissement des femmes et des enfants est beaucoup plus difficile à combattre du fait qu'il s’enrobe de mots tels que «charmant» et «adorable». Un enfant peut-il répondre à la tante stupide qui se précipite sur lui pour le cajoler ? Une femme peut-elle se permettre de froncer les sourcils lorsqu’un passant inconnu prend la liberté de l’importuner ? Lorsqu'il lui lance : « Salut mignonne, ça va?», si elle lui répondait : «Ça irait mieux si je ne te connaissais pas », il grommellerait : « Qu'est-ce qu'elle a, cette pute?» Très souvent la véritable nature de ces remarques apparemment aimables se révèle lorsque la femme ou l’enfant ne sourient pas comme il se doit : «Vieille pouffe! C'est toujours pas moi qui te baiserai, même si tu souris avec ta chatte»... «Sale petit morveux ! Si j’étais ton père je te mettrais une raclée dont tu te souviendrais!» Leur violence est étonnante. Ces hommes en veulent à la femme ou à l’enfant de n’avoir pas été « aimables ». Comme cela les rend mal à l’aise de savoir que la femme, l’enfant, le Noir ou l’ouvrier ronchonnent, les groupes asservis doivent paraître aimer leur servitude, sourire et minauder même s’ils se sentent profondément malheureux. Le sourire de la femme ou de l’enfant indique l’acceptation par la victime de sa propre condition.
Pour ma part, j’ai dû me contraindre à abandonner ce sourire factice, plaqué sur toute teenage girl comme un tic nerveux. Et cela signifiait que je souriais rarement, car en réalité, pour ce qui était du véritable sourire, peu de raisons m’y poussaient. La démonstration dont je rêvais pour le mouvement de libération des femmes était un boycott du sourire : dès sa déclaration, toutes les femmes cesseraient immédiatement de sourire pour plaire aux autres, et ne le feraient par conséquent que lorsque quelque chose leur plairait. De la même manière, la libération des enfants exigerait qu’on ne leur impose plus de câlins dont ils n’ont pas envie (bien entendu, cela impliquerait une société où les câlins ne seraient plus désapprouvés ; à l’heure actuelle, la seule marque d’affection que reçoit un enfant est souvent une démonstration artificielle – mais peut-être préfère-t-il cela à l’absence totale de tout geste affectueux). Beaucoup d’hommes ne peuvent comprendre que leurs familiarités ne sont pas un privilège. Leur arrive-t-il seulement de penser que l’être véritable caché sous cette apparence d’animal-enfant ou d’animal-femme puisse ne pas aimer recevoir une caresse ou même une simple remarque de leur part ? Imaginez la consternation d’un homme qui, dans la rue, verrait un étranger venir sur lui, lui tapoter la joue en gargouillant et en marmonnant des enfantillages, sans égard à sa profession ou à sa « virilité ».
[...] À la mystique qui chantait la gloire de donner la vie, la grandeur de la créativité féminine « naturelle », s’ajoutait maintenant une mystique nouvelle, célébrant le culte de l’enfance elle-même et la « créativité » de l’éducation. (« Mais chérie, que pourrait-il y avoir de plus créatif que d’élever un enfant ? ») Nous avons aujourd’hui oublié ce qu’avait prouvé l’histoire : « élever » un enfant équivaut à retarder son développement. Le meilleur moyen d’élever un enfant, c’est de NE PAS INTERVENIR.
Shulamith Firestone, Pour l'abolition de l'enfance, traduit de l'américain par Sylvia Gleadow, Tahin Party, 2016.
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