karl kraus

Un certain degré d'incapacité à se mouvoir spirituellement, on pourra le concéder à ces artistes qui n'élaborent pas la parole : peintres et musiciens. Mais on doit dire que les artistes y renchérissent généralement sur l'art, et qu'ils parviennent à satisfaire les exigences qu'on pose à la débilité d'une conversation d'une manière qui dépasse la nature permise. […]

Il est parfois impossible de maintenir un homme dont la spiritualité se dissipe en sons ou en couleurs sur le sentier de la pensée la plus simple. Cela ne veut pas dire que les poètes ne puissent pas être, eux aussi, des crétins. […]

Dès qu'un chanteur ouvre la bouche pour parler ou se manifester d'une autre façon, cela tourne mal. Le peintre qui se place devant sa toile agit comme une tache ; le musicien, son travail achevé, commet une fausse note. Pour qui c'est une nécessité, qu'il laisse agir sur soi sons et couleurs, grand bien lui fasse. Mais ce ne peut pas être une nécessité que d'accroître encore la masse de bêtise qui est accumulée dans le monde par les ressources d'une âme d'artiste inoccupée.

Karl Kraus, Dits et contredits. Éditions Champ Libre, 1975. Traduit par Roger Lewinter.

Oskar Kokoshka, Portrait de Karl Kraus.