georges henein
- Le contraire du jeu
- 1 févr. 2021
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 avr. 2023

Il y a de part le monde, une prodigieuse débauche d'expression sans contenu. Le travail à la chaîne a engendré la parole à la chaîne. Les digues sont rompues. Les civilisations de masse ont élevé le bruit au rang d'écho collectif. Nous en sommes au point où le bruit rassure. Le bruit a, en effet, plusieurs mérites non négligeables. Il crée une sorte d'unanimité et, du même coup, abolit l'individu, engourdit la conscience. Il est cher, pour cette raison même, à l'oreille de la société. Il noie toute signification cohérente dans le chaos d'un parler indistinct. Le bruit est le langage actuel de l'Humanité. D'ailleurs, ne dit-on pas d'un endroit où l'on ne s'entend point causer qu'il est « vivant » ? Pour peu que la réciproque soit admise, on serait fondé à conclure que le silence est un signe de mort. La crainte de voir cette complicité fictive déboucher vraiment dans un cimetière suffit à délier les langues. Personne n'emportera son secret avec soi dans la tombe. Tout le monde aura parlé avant, – et d'abondance.
L'interprétation peut-être la moins malveillante du vain vacarme de notre époque est celle qui nous vient d'Henri Michaux. Celui-ci dit quelque part : « On crie pour taire ce qui crie. Le montreur de girafe cache un nain. Le montreur d'ours cache un chauve ». Cette théorie de la dissimulation est valable jusqu'au jour où le chauve en a assez du montreur d'ours et décide de crier pour son propre compte, – de crier tout bonnement en tant que chauve. Et c'est alors que son inconduite nous ramène aux lois du silence.
Georges Henein, L'Esprit frappeur (Carnets 1940-1973). Éditions Encre, Paris 1980.
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