georges darien
- Le contraire du jeu
- 23 mai 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars 2023
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Dans un monde où l'Abdication n'est pas seulement une Doctrine, mais une Vie, la marche de l'humanité, en avant ou en arrière, n'a pu et ne peut être déterminée que par des actes que les lois qualifient de crimes ou de délits de droit commun.
Malheureusement, il ne suffit pas d'être un criminel, même un grand criminel, pour être un caractère. L'individu, à présent, est non seulement hors la loi ; il est presque hors du possible.
L'humanité possède l'unité et le moi commun dont parlait Jean-Jacques. Elle n'a plus qu'une face. Et sur cette face, pâle d'épouvante, s'est collé le masque menteur du scepticisme. La raison d'être contemporaine ? « J'ai peur de moi ; donc, j'existe. » Époque de cannibalisme silencieux et craintif. L'homme ne vit plus pour se manger, comme autrefois ; il se mange pour vivre. Je ne crois pas qu'en aucun siècle le genre humain ait autant souffert qu'aujourd'hui…
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« Jésus, dit saint Augustin, a perfectionné l'esclave. » Oh ! Cette religion dont les dogmes pompent la force et l'intelligence de l'homme comme des suçoirs de vampire ! qui ne veut de lui que son cadavre ! qui chante la béatitude des serfs, la joie des torturés, la grandeur des vaincus, la gloire des assommés ! Cette sanctification de l’imbécillité, de l'ignorance et de la peur !… Et cette figure du Christ, si veule, si cauteleuse, si balbutiante et si féroce ! - Ce thaumaturge ridicule ! Je dis ridicule, remarquez-le, parce que je crois à ses miracles. Ils sont si puériles, à côté de ceux qu'on a faits depuis, en son nom ! Nourrir quatre mille personnes avec sept pains, quelle plaisanterie! Le capitalisme chrétien n'en est plus là. Avez-vous vu, ces budgets d'ouvrières, établis par des personnes compétentes, et qui accordent à ces favorisées du ciel 65 centimes par jour pour vivre ? Et l'on suppose, ne l'oubliez pas, qu'elles trouvent de l'ouvrage comme elles veulent. Et il paraît qu'elles sont rassasiées. Voilà un miracle !...
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Il y a si longtemps que la Parole a cessé d'être un Fait ! Que le Verbe n'est plus qu'une arme faussée dans la main gauche des charlatans !… Pourtant, j'espère. Notre époque est tellement abjecte, elle a pris si lâchement le deuil de sa volonté, notre vie est tellement lamentable, cette vie sans ardeur, sans générosité, sans haine, sans amour et sans idées, que peut-être écouterait-on un apôtre – un apôtre qui aurait la volonté, la volonté tenace de se faire entendre. - Un apôtre qui serait un Individu, d'abord – l'Individu qui a disparu. - Le jour où il renaîtra, quel qu'il puisse être et d'où qu'il vienne, qu'il soit l'Amour ou qu'il soit la Haine, qu'il étende ses bras ou que sa main tienne un sabre, l'univers actuel sera balayé comme une aire au souffle de sa voix et un monde nouveau s'épanouira sous ses pas. C'en sera fini, de cette immense couvent de la Sottise meurtrière dont les murs, étayés par la peur, étouffent mal les sanglots de la vanité qui s'égorge et les hurlements de la misère qui se dévore ; de ce monastère de la Renonciation Perpétuelle où l'humanité, le bandeau de l'orgueil sur les yeux, s'est laissé pousser par la main crochue du mauvais prêtre et verrouiller par les doigts rouges du soldat ; de ce cloître où les Foules, le carcan de leur souveraineté au cou et les poignets saignant sous les menottes de leur puissance absolue, pantèlent, prosternées, devant leur idole – leur Idole qui est leur Image – en attendant que leur Providence, qui est l'État, entrebâille le guichet par lequel, de temps en temps, elle laisse apercevoir la manne, à moins qu'elle ne préfère ouvrir à deux battants la grande porte – celle qui conduit à l'abattoir. - Oui, le jour où l'Individu reparaîtra, reniant les pactes et déchirant les contrats qui lient les masses sur la dalle où sont gravés leurs Droits ; le jour où l'Individu, laissant les rois dire : « Nous voulons », osera dire : « Je veux » ; où, méconnaissant l'honneur d'être potentat en participation, il voudra simplement être lui-même, et entièrement ; le jour où il ne réclamera pas de droits, mais proclamera sa Force ; ce jour-là sera ton dernier jour, ergastule des Foules Souveraines où l'on prêche que l'Homme n'est rien et l'Humanité, tout ; où la Personnalité meurt, car il lui est interdit d'avoir des espoirs en dehors d'elle-même ; ton dernier jour, bagne des Peuples-Rois où les hommes ne sont même plus des êtres, mais presque des choses – des esprits désespérés et malsains d'enfants captifs, ravagés de songes de désert, de rêves dépeuplés et mornes - ; ton dernier jour, civilisation du despotisme anonyme, irresponsable, inconscient et implacable – émanation d'une puissance néfaste et anti-humaine, et que tu ne soupçonnes même pas !…
Georges Darien, Le Voleur.

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