charles fourier

« Il n’y a point d’enfants paresseux, même en Civilisation*. Tous sont des travailleurs infatigables quand la fantaisie leur en prend. Voyez-les dans leurs nobles expéditions qu’ils appellent des farces, quand ils vont casser des vitres, tirer des sonnettes, démolir un mur, arracher des palissades, etc. Ils travaillent comme des maniaques. Eh ! Quel est celui qui s’y porte avec le plus d’ardeur ? C’est le plus petit, tout fier d’être admis à faire des farces avec de plus grands que lui. En pareil cas, ces diablotins bravent les frimas et les fatigues, et les dangers (ce qui serait un supplice s'il était ordonné par le père) pour travailler, car cette prétendue farce est un véritable travail. Elle ne produit aucun plaisir sensuel ; loin de là, ils risquent des coups de toute espèce, soit de la part de ceux qui les prennent sur le fait, soit de la part des pédants* à qui l'on va porter plainte ; mais l'attraction les poussait, et quand elle suscite un groupe d'enfants, elle en fait des travailleurs beaucoup plus ardents que les hommes âgés, et leur ardeur est aussi grande pour édifier que pour détruire. On les voit souvent faire des efforts prodigieux pour élever une digue de cailloux en travers d'un ruisseau, et construire un petit moulin de bois à l'extrémité de la digue. Bref, il faut présenter aux enfants des travaux qui excitent en eux l'attraction (c'est-à-dire jouissance du corps et de l’âme, […]), alors ils iront aux ateliers, aux études, avec le même zèle qu'ils mettent aujourd'hui pour les parties qu'ils nomment des farces, et dans lesquelles ils ont divers véhicules* :

- L'idée de se signaler et l'admiration de leur propre ouvrage ;

- Une amitié collective, un dévouement pour l'honneur de la coterie enfantine ;

- Fierté chez les plus grands de diriger les petits, et chez ceux-ci de s'associer aux grands. À ces véhicules, déjà suffisants pour mettre l'enfant en attraction industrielle, il s'en joindra une infinité d'autres bien plus puissants et qui ne peuvent naître que dans l'ordre combiné*. Il trouvera tous ces motifs d'ardeur dans chaque groupe qu'il fréquentera. Voilà pourquoi il n'y aura pas d'autre théorie d'éducation que d'abandonner l'enfant à la nature et aux groupes, dès qu'il pourra marcher et se rendre aux petits ateliers et autres lieux où se rendent les groupes de bambins*, surveillés par quelques patriarches* ou serviteurs* qui ne leur donnent aucun ordre. L'émulation suffit pour tout diriger. »

Charles Fourier.

*Civilisation : état actuel de notre société prétendument civilisée.

*Pédants : enseignants.

*Véhicules : motivations.

*Ordre combiné : organisation sociale harmonieuse future proposée par Fourier.

*Bambins : enfants de 36 mois à quatre ans et demi.

*Patriarches : adultes âgés.

*Serviteurs : adultes encadrants.