marcel schwob
- Le contraire du jeu
- 28 juin 2020
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Dans ce temps la race humaine semblait près de périr. L'orbe du soleil avait la froideur de la lune. Un hiver éternel faisait craqueler le sol. Les montagnes qui avaient surgi, vomissant vers le ciel les entrailles flamboyantes de la terre, étaient grises de lave glacée. Les contrées étaient parcourues de rainures parallèles ou étoilées ; des crevasses prodigieuses, soudainement ouvertes, abîmaient les choses supérieures avec un effondrement, et on voyait se diriger vers elles, dans une lente glissade, de longues files de blocs erratiques. L'air obscur était pailleté d'aiguilles transparentes ; une sinistre blancheur couvrait la campagne ; le rayonnement d'argent universel paraissait stériliser le monde.
Il n'y avait plus de végétation, sinon quelques traces de lichen pâle sur les rochers. Les ossements du globe s'étaient dépouillés de leur chair, qui est faite de terre, et les plaines s'étendaient comme des squelettes. Et la mort hivernale attaquant d'abord la vie inférieure, les poissons et les bêtes de mer avaient péri, emprisonnés dans les glaces, puis les insectes qui grouillaient sur les plantes rampantes, et les animaux qui portaient leurs petits dans les poches du ventre, et les êtres demi-volants qui avaient hanté les grandes forêts ; car aussi loin que le regard parvenait, il n'y avait plus ni arbres ni verdure, et on ne trouvait de vivant que ce qui demeurait dans les cavernes, grottes ou tanières.
[...]
Marcel Schwob, La mort d'Odjigh, dans Le roi au masque d'or, 1893.

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